JE du 24 mars 2022

Journée d'étude du 24 mars 2022

9h00 - Introduction
Romain Mathieu, enseignant-chercheur à l'Esadse, Laboratoire d’expérimentation des modernités (LEM)

Que peut la peinture face au déferlement des images dans la société qui est la nôtre ? Qu'en est-il de l'image peinte lorsqu'il n'est question que de flux numériques ? La notion de flux à laquelle on associe l’image numérique peut-elle être confrontée à la volonté d'élaborer une déposition de l'instant dans la durée de la peinture, mettant en dialogue le regard et l'image ?

Le renouvellement actuel de la peinture figurative s’accompagne nécessairement d’une interrogation de notre relation à l’image et donne une nouvelle actualité à la question du rapport entre peinture et photographie. Cette tension se manifeste chez beaucoup d’artistes dans le processus même de leur démarche intégrant l’image numérique, qu’il s’agisse de captures d’écrans ou d’images prélevées sur internet. Le modèle photographique peut être directement désigné ou représenté. Il peut néanmoins s’associer à différentes stratégies : processus d’abstraction, jeu de citations, mise en abimes. Il peut s’hybrider à des références à l’histoire de l’art, au cinéma ou à des scènes fantastiques.

L'intégration de l'image numérique dans la peinture ne se limite pas à la représentation, elle peut prendre la forme des effets spécifiques de lumière, de profondeur ou de texture et convoquer l'abstraction propre à l'image photographique. Il peut en ressortir une mise en question de l'image, de son avènement. Cette intégration de l’image portée à sa limite peut être située après l’abstraction. Pourtant, elle renoue aussi avec une origine des pratiques abstraites où l’interrogation du visible s’accompagnait d’un goût pour des images issues du spiritisme ou de perceptions transformées par la science.
Différentes expositions récentes ont montré cette actualité renouvelée de la relation entre photographie et peinture à travers le numérique. On peut citer La photographie à l'épreuve de l'abstraction (septembre 20 – janvier 21, FRAC Normandie, Centre d'Art Contemporain de l'Onde, CPIF) sur le versant de la photo. Plus spécifiquement, dans le champ de la peinture, Obsolescences déprogrammée (cycle d'expositions initié à l'Abbaye de Sainte-Croix, 15 octobre 21 – 16 janvier 22) se concentre sur l'appropriation du numérique par la peinture. Enfin, Les Apparences Centre d'Art A cent mètres du centre du monde, 20 juin – 12 septembre 21) réunissait une scène figurative où se révélait pleinement cette problématisation de la relation à l'image. Cette journée d'étude vise à interroger cette relation entre peinture et photographie ou images numériques. Comment dans une époque d'hyper visibilité qui agit comme un effacement du regard, des regards, peut se ménager un manque, un invisible qui est intrinsèque au mystère de la représentation ? A travers le regard, c'est la manière dont ne cesse de se réinventer notre rapport au monde qui est questionnée.

9h15 - Conférence La peinture, copie critique d’un original numérique, Camille Debrabant

Fondée sur les deux volets du cycle d’expositions « Peinture obsolescence déprogrammée » (2021-22), cette réflexion examine les relations dialectiques de séduction et de défiance, d’attraction et de répulsion qui caractérisent un ensemble de pratiques picturales contemporaines et leur environnement numérique. Un renversement historique retient ici particulièrement notre attention, que désigne l’expression a priori galvaudée de « révolution numérique ». Entendue en un sens littéral, elle signale un bouleversement brusque de régime au cours duquel la peinture devient copie d’un « original » numérique. Extrait d’un flux ininterrompu d’images, le fichier est ainsi rendu visible et matérialisé par une opération de duplication. Pour saisir les enjeux de ce phénomène récurrent, dépassant le simple pastiche, il s’agit de définir le type d’images et de fichiers ciblés, de s’intéresser à leur mode de traduction afin d’en esquisser les finalités et les intentions critiques.

Camille Debrabant :
Docteure en histoire de l’art, Camille Debrabant a consacré ses recherches de thèse au sort théorique réservé à la peinture à l’ère du postmodernisme entre 1962 et 1989. Après avoir collaboré aux publications du cabinet d’art graphique de l’École des beaux-arts de Paris (2005-12), elle enseigne l’histoire et la théorie de l’art à l’École d’art et de design d’Angers et de Nancy. Ses recherches actuelles, dédiées au renouvellement des pratiques picturales dans l’environnement numérique contemporain, se développent sous la forme d’un cycle d’expositions « Peinture Obsolescence Déprogrammée » (Musée d’art moderne et contemporain MASC des Sables d’Olonne - octobre 21-janvier 22 - et Musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun – février-mai 22).

9h45 - Conférence François Boisrond et les écrans. Petite histoire d’une technophilie assumée, Didier Semin

François Boisrond est sans doute, avec David Hockney, un des rares peintres figuratifs contemporains à avoir conjugué de manière sereine la passion du numérique avec un goût prononcé pour le geste pictural. La bonhomie avec laquelle David Hockney a dessiné, à plus de 70 ans, sur iPad, est liée à sa conviction que les peintres ont toujours exploité les progrès de l’optique (conviction qu’il défend dans son livre Savoirs secrets). L’emploi que fait aujourd’hui Boisrond des caméras et des ordinateurs doit être plutôt rapporté au fait que, tout à la fois « enfant de la télé » et du cinéma (ses parents étaient cinéastes), il a toujours vécu avec des écrans, et les a intégrés dès 1989 à ses toiles. On tâchera de placer Boisrond dans la lignée de Seurat ou de Signac, passionnés de physique et de chimie, et de montrer comment il utilise l’outil numérique et la lumière de l’écran pour réfléchir aux rapports colorés en peinture.

Didier Semin :
Né en 1954, Didier Semin a fait des études d’histoire de l’art à l’université de Strasbourg. Il a occupé les fonctions de de conservateur successivement au musée des Sables-d’Olonne, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris et enfin au Centre Pompidou, où il était chargé de la collection contemporaine jusqu’en 1998. Il enseigne l’histoire de l’art aux Beaux-Arts de Paris depuis 1999 .

Parutions récentes : Markus Raetz, infimes distorsions, L’Échoppe, Paris, 2013. Marcel Duchamp, Le Paradigme du dessin d’humour, Cully, KMD/The Forestay Museum, 2015 ; Le Film et le champ de bataille, Samuel Fuller, The Big Red One, Paris, L’Échoppe, 2017 ; Barry Flanagan, Solutions imaginaires, catalogue d’exposition, Paris, Galerie Lelong & Co., 2019 ; Duchamp contre Picasso. L’Applaudimètre étalon, Paris, L’Échoppe, 2019.

10h15 - Échanges
10h45-12h30 - Table ronde avec les artistes des expositions : Mireille Blanc, François Boisrond, Rémy Hysbergue, Thomas Lévy-Lasne, Clémentine Post, David Wolle, Romain Mathieu (modération)

Mireille Blanc :
Née en 1985, Mireille Blanc a étudié aux Beaux-arts de Paris, dont elle est diplômée en 2009, et à la Slade School of Fine Arts à Londres. Son travail a été récemment présenté lors d’expositions personnelles à la galerie Anne-Sarah Bénichou (2020), au FRAC Auvergne (2018), à la galerie The Pill (2019). Elle est représentée par la galerie The Pill (Istanbul), et Anne-Sarah Bénichou (Paris). Mireille Blanc développe un travail de peinture, faisant intervenir différents médiums (photographie, dessin).

François Boisrond :  
François Boisrond est né le 24 mars 1959 à Boulogne-Billancourt ; il est le fils des cinéastes Michel Boisrond et Annette Wademant.
Il est reçu à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, en 1977. Aux Arts décoratifs, il expérimente autant les différentes techniques graphiques que la vidéo ou l’animation.
Aujourd’hui, François Boisrond poursuit, à la peinture à l’huile, ses recherches sur le costume et la composition de « tableaux vivants ». Dans son atelier du Bateau-Lavoir, séparé du monde réel et appartenant au passé et au présent simultanément, François Boisrond met en scène des « tableaux vivants ». À la manière d’un réalisateur de cinéma, il créé des décors, des costumes et des lumières. Il dirige ses « acteurs » et filme des plans. Les arrêts sur images, passés par l’outil numérique et recomposés, lui servent de motifs pour la réalisation de ses peintures.

Rémy Hysbergue :
Artiste, formé à l'École Nationale Supérieure des arts Décoratifs, il est l'auteur d'une œuvre picturale présentée dans de nombreuses expositions personnelles (Galerie Jean Brolly, Paris ; Galerie Nancy Hoffman, New-York ; Galerie Jack hanley, San Francisco ; Galerie Philippe Casini, Paris ; FRAC Auvergne) et collectives (Carré d'art de Nîmes, Musée des Beaux-arts de Tourcoing, Villa du parc d'Annemasse...).

Thomas Lévy-Lasne :
Thomas Lévy-Lasne est un peintre né en 1980 à Paris. Il est représenté par la Galerie Les Filles du Calvaire et ancien pensionnaire de la Villa Médicis (18-19). Aquarelles de fête, fusains de manifestations, dessins érotiques de webcam, peintures à l’huile de la solitude urbaine ou de la catastrophe écologique, il aborde d’une manière classique les sujets les plus divers et les plus contemporains.

Clémentine Post :
Née en 1996 à Angers, Clémentine Post vit et travaille en région parisienne. Après cinq ans à l’ESADSE elle sort diplômée en 2019. Durant ses études, elle a l’occasion d’exposer à la galerie Ceysson & Bénétière à Saint-Étienne ainsi qu’au musée de l’Abbaye de Sainte-Croix au Sables d’Olonne. Elle bénéficie d’un atelier à l’ADERA à Lyon pendant un an avant d’intégrer les Ateliers Wonder à Clichy en 2020. Sa pratique de peinture et de dessin s’articule autour de scènes du quotidien prises avec son téléphone. 

David Wolle :
Né en 1969. Vit et travaille à Villefranche sur Saône. Artiste plasticien. . Maître de conférence à l'ENSAG / École d'Architecture de Grenoble. Membre du laboratoire MHA (UGA Grenoble)

Romain Mathieu : 
Romain Mathieu (Esadse-LEM, enseignant-chercheur) est docteur en histoire de l’art contemporain. Il enseigne également à l’Université d’Aix-Marseille et est membre de l’AICA. Il est un contributeur régulier d’Artpress et a publié des textes dans plusieurs catalogues pour des musées et des galeries. Il a été commissaire de l’exposition Supports/Surfaces – Les origines : 1966-1970 au musée d’art contemporain de Nîmes.

14h - Conférence Bernard Frize et la vérité de l’image, Orianne Castel

Pour sa rétrospective organisée au Centre Pompidou en 2019, Bernard Frize, qui travaillait en collaboration avec la commissaire d’exposition Angela Lampe, a choisi de montrer certaines de ses photographies aux côtés de sa production picturale. Très rarement exposées, ces images figuratives tranchent sur le travail abstrait du peintre. Suite de photographies contenant chacune un fragment de texte et dont l’ensemble forme une phrase complète (Working/on/figures/including/total/sales, 1984), image d’un nuage évoquant un visage humain (Nuage sur la côte Atlantique, 1988), photographie de haricots verts préalablement peints en différentes nuances de vert (Haricots peints, 2001), ces œuvres prolongent, sans la redoubler, la tension entre réalité et illusion au cœur de la pratique de Frize. Accompagnées de textes lors de cette exposition, elles précisent la façon dont la question de la vérité travaille la production de l’artiste.

Orianne Castel :
Orianne Castel est artiste plasticienne (représentée par la galerie Marina Bastianello, Venise) et docteur en philosophie (elle enseigne à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Paris). Ses travaux universitaires portent sur l’interprétation de la forme « grille » en peinture des débuts de l’abstraction jusqu’à aujourd’hui et proposent d’interroger les relations entre le langage et l’art abstrait à l’aune de cette forme.

14h30 - Conférence Le devenir numérique de l’art, Karim Ghaddab

En 2017, une exposition au Centre Pompidou Metz, en collaboration avec la Tate Liverpool et le MMK Francfort, se voulait prospective, « empruntant au genre de la dystopie de science-fiction ». Intitulée Un musée imaginé, elle postulait un hypothétique « désastre imminent » : « l'art est menacé d'interdiction et l'ombre d'une disparition totale plane... ».
Trois ans plus tard, ce qui avait été conçu comme un exercice fictionnel est largement devenu la réalité de notre rapport aux œuvres d’art. Selon l’Unesco, à l’occasion de l’état d’urgence sanitaire lié à la pandémie de covid-19, 90% des lieux d’exposition dans le monde, musées et centres d’art, ont été fermés en 2020. Cette « distanciation » a entraîné des bouleversements profonds de l’expérience esthétique : abolition de la présence physique des œuvres, développement du marché de l’art en ligne, explosion de la diffusion des images via les réseaux sociaux, suivi et évaluations pédagogiques à distance, etc. Au-delà des modalités de production et de la conjoncture sanitaire, ce tournant informatique paraît s’inscrire durablement dans l’histoire de la dématérialisation de l’art.

Karim Ghaddab : 
Karim Ghaddab est critique d'art, membre de l’AICA (Association Internationale des Critiques d’Art). Il est professeur d'histoire et théorie des arts à l'École Supérieure d'Art et Design de Saint-Etienne, où il a également co-fondé le LEM (Laboratoire d'Expérimentation des Modernités). Outre des essais théoriques, il est l'auteur de nombreux textes monographiques consacrés à des artistes aussi divers que Simon Hantaï, Yves Klein, Marc Devade, Pierre Buraglio, Denis Laget, Gilgian Gelzer, Frédérique Lucien, Elmar Trenkwalder …
Parallèlement, il est occasionnellement commissaire d'expositions : conception scientifique de la première rétrospective de Marc Devade (musées de Coblence, Allemagne, et de Tourcoing en 2003-2004), Céramiques et belles dentelles (Galerie Corinne Caminade, Paris, 2005), Hospitalité toi m’aime (Espace d’Art Contemporain Camille Lambert, Juvisy-sur-Orge, 2007), ConDom (Galerie du Haut-Pavé, Paris, 2009), Memento (L’H du Siège, Valenciennes, 2012), News of the fake (Orangerie du château, Sucy-en-Brie, 2018) et Dernier étage vue dégagée (Moments Artistiques, Paris, 2021). Il a été directeur artistique de la manifestation L’art dans les chapelles (Morbihan) de 2011 à 2016.

15h - Échanges

15h30 - Conférence La peinture de paysage à l’ère du numérique. Yann Lacroix, Jérémy Liron, Marine Wallon, Noémie Cursoux

La peinture de paysage a traversé les époques et a été investie par divers changements et révolutions. Qu’en est-il à l’ère du numérique ? Il s’agira d’étudier l’impact des nouvelles technologies sur le processus poïétique à travers trois peintres contemporains : Yann Lacroix, Jérémy Liron et Marine Wallon. Appartenant à la même génération (né.e.s entre 1980 et 1986), ils ont en commun le traitement du paysage par association de surfaces hétérogènes, ainsi qu’un usage assumé du numérique. Comment se manifeste techniquement et formellement l’apparition du numérique dans la peinture de paysage ? Quels nouveaux outils emploient-ils et à quelles fins ? L’usage du numérique est-il visible une fois la peinture achevée ?
Cette communication sera régie autour de deux instants du processus de création qui sollicitent l’usage du numérique : le premier est l’utilisation quotidienne de l’appareil photographique, notamment sur smartphone, au même titre qu’un carnet de croquis ; le second est le fait de peindre directement d’après écran, qu’il s’agisse de photographies prises par l’artiste, glanées sur Internet, capturées, ou montées. Quelle est la relation entre l’écran et le tableau ? Y a-t-il des analogies ? Le fait de peindre d’après écran impacte-t-il la peinture ? Comment cela se manifeste-t-il ?

Noémie Cursoux :
Noémie Cursoux est doctorante en Sciences de l’art à l’Université Aix-Marseille, en codirection à l’Esadse. Ses recherches portent sur la construction de l’espace pictural dans la peinture contemporaine depuis les années 2000. Elle interroge l’instauration d’une profondeur ainsi que l’association d’étendues hétérogènes opérant à travers des procédés de stratifications et de juxtapositions. Elle a également une activité de médiatrice au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne et de critique d’art.

16h30 - Conférence Faire image, Romain Mathieu

Dans Ceci tuera cela – image, regard, capital, Annie Lebrun et Juri Armanda analyse avec beaucoup de précisions le nouveau statut de l’image pris entre le flux de sa circulation et son identification comme source de rentabilité. Ils constatent que l’ultravisibilité s’accompagnent d’un contrôle et d’un effacement du regard dans sa capacité à se saisir de l’invisible qui est le moteur de la représentation comme capacité à voir mais aussi à inventer le monde. Est-ce que le renouveau de la peinture figurative que l’on observe aujourd’hui pourrait -être une réponse à cette dissolution de l’image? Mais faire image ne peut simplement signifier d’ajouter à ce flux mais bien d’instituer un regard dans le lieu même de son effacement.

Romain Mathieu : 
Romain Mathieu (Esadse-LEM, enseignant-chercheur, coordinateur du programme) est docteur en histoire de l’art contemporain. Il enseigne également à l’Université d’Aix-Marseille et est membre de l’AICA. Il est un contributeur régulier d’artpress et a publié des textes dans plusieurs catalogues pour des musées et des galeries. Il a été commissaire de l’exposition Supports/Surfaces – Les origines : 1966-1970 au musée d’art contemporain de Nîmes.

17h-17h30 - Échanges et conclusions