Avecques Amertume

Avecques Amertume

Les Limbes, 7 rue Henri Barbusse à Saint-Etienne.

Exposition collective commissariée par Marie Kaya.

Avec la participation d' Éric Baudelaire, Yasmina Benabderrhamane, Agnès Geoffray, Valérie Jouve et Anouk Kruithof.

 

Anouk Kruithof, Sweat-stress05, Tirage ultrachrome sur diasec,
Édition de 4 + 2 EA, 40 x 60 cm, 2003,Coutesy Galerie Valeria Cetraro.

L’amertume évoque spontanément un sentiment qui nous conduit dans les rets de la rancœur. Elle apparait donc comme un terme peu fécond lorsqu’on veut provoquer des rapprochements et des résonances entre des pratiques artistiques contemporaines. Pourtant c’est notre expérience de la langue qui doit être incriminée, elle qui nous met à l’esprit la dimension psychologique du mot avant de nous suggérer que l’amertume désigne d’abord une saveur, indissociable de la bière ou du café́, par exemple. Dans ce cas, elle ne possède pas cette connotation négative associée à une attitude délétère et à la méchante aigreur que provoque une attitude revancharde. Pour cette exposition, nous envisageons l’amertume dans sa dimension sensorielle et poétique, en adoptant pour la préposition une orthographe qui nous entraine dans le giron d’une poésie élégiaque, une poésie soucieuse d’explorer toutes les ressources de la langue.

Les manifestations de l’amertume sont équivoques. On peut aussi bien les deviner dans le travail de l’artiste que les surprendre dans le regard du spectateur. Entre le vague à l’âme et la colère, l’amertume reste à la source d’une indignation propre à une démarche artistique, parce que l’image de l’art se fonde sur une pratique de l’embuscade qui cherche toujours à frapper là où on ne l’attend pas, alors même qu’on ne l’attend plus. Travailler les images avecques amertume consiste à en contrarier le sens commun, pour rompre avec tous les usages qui s’appliquent à l’instrumentaliser. L’adverbe “avecques” est la brèche poétique qui rend possible une échappatoire à l’injonction narrative. Ainsi écrit, le mot se prononce en ajoutant une syllabe à la fin, et le “s” marque la liaison. Dans cette disposition, la similarité syllabique des deux mots commençant par la lettre “a” produit une musicalité́ que l’on ne saisit qu’en prononçant le titre à haute voix, et qui vient s’interposer entre l’amertume et nous, et dégage le mot de sa connotation stérile.

La liaison produite adoucit l’amertume avec du miel. Elle se transmue lorsqu’elle devient le support d’un lien, lorsqu’elle est à la source d’une pensée du commun. Elle dénonce alors un regard sur le monde qui serait porté par le dépit et le ressentiment. Le paradoxe ironique du titre propose donc de composer avec l’amertume plutôt que de s’y soumettre, de la prendre en charge par les voies de l’art en refusant de se laisser diluer dans le consensus d’une voix apaisante et paresseuse, d’en explorer le potentiel fertile plutôt que subir les injonctions cyniques à la résilience qu’elle fait naitre. Sur ce fil s’effectue le travail des images, le renouvellement et la réactualisation de leurs supports ne cessent d’en faire une matière révélatrice des liens invisibles qui rapprochent et tissent ensemble nos expériences dans le monde.

Marie Kaya

 

Vernissage : jeudi 16 juin 2022 à 18h.