Du 19 février 2024 au 20 mars 2024
Vitrine EST du Bâtiment des forges, 11 rue du Docteur Annino 42000 Saint-Étienne
Lauréate du concours En vitrine !
Camille Lane est étudiante en L2 Arts Plastiques à l’Université Jean Monnet et en service civique à la galerie L’Assaut de la menuiserie.
« 1975-1922 » est l’installation d’un lit pour bébé déstructuré et écorché, suspendu par le biais de cintres ouverts. Le spectateur se déplace à travers l’installation, dont les pans du lit sont disposés en parallèle les uns des autres. Les allées ne laissent la place pour passer qu’un par un, créant une fausse intimité entre le spectateur et la production. Ce rapport est rapidement rompu par les barreaux du lit qui laissent entrevoir les autres spectateurs à travers la production et créent un sentiment d’enfermement. Le lit, censé être un repère de confort et d’intimité devient alors source d’inconfort et de malaise.
Dans ce travail sur la suspension et l’équilibre,1975-2022
est une production qui questionne le cloisonnement avec des allées parallèles dans lesquelles le spectateur évolue. Il se retrouve face à une violence brute, les barreaux écorchés rendant l’atmosphère repoussante. Le spectateur est contraint à se déplacer précautionneusement dans un espace étroit, accentuant le malaise.
L’équilibre de la disposition rend compte d’une fragilité qui confronte le spectateur à un rapport de force, plaçant un matériau brut, dur et froid dans une position d’instabilité qui le rend vulnérable. La structure verticale semblable à des rideaux de fer vient affirmer une relation ambivalente d’intimité et décloisonnement, et dupe le spectateur avec des éléments de production qui pourraient représenter le confort mais le mettent en réalité dans une situation d’inconfort profond.
1975, année de légalisation de l’IVG grâce au militantisme de Simone Veil, est un symbole du droit des femmes de disposer de leur corps. Le cloisonnement du spectateur rappellera ainsi des barreaux de prison, mettant en forme l’idée que les femmes sont enfermées dans un statut de procréatrices, un rôle de mère qui leur incombe et sur lequel elles doivent se justifier en permanence. Les barreaux sont écorchés scrupuleusement à la lime à métaux. Suspendus avec des cintres ouverts, on notera le lien avec les avortements clandestins pratiqués par les « faiseuses d’anges » à l’aide de cintres et d’aiguilles à tricoter, objets du quotidien ainsi devenus un symbole de la lutte pro-IVG. La production permet alors de rentrer dans l’intimité des femmes et de prendre conscience de la violence de l’enfermement auquel elles sont sujettes.
2022, le droit à l’avortement est profondément remis en question et menacé. La loi Roe vs. Wade passe aux Etats-Unis en juin 2022, conférant le droit à chaque état d’imposer sa propre loi sur l’avortement indépendamment les uns des autres. Une crise du droit des femmes à disposer de leur corps s’annonce alors, plus d’une vingtaine d’états ayant déjà interdit ou restreint l’accès à l’IVG. 1975-2022 signe donc ainsi la mort du droit à l’IVG acquis en Occident, et le début d’une régression sur les droits des femmes. En France,
le Parlement vote en février 2023 l’inscription dans la Constitution du droit à l’IVG, remanié par la suite sous les termes « la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Le terme « liberté » fait alors polémique car il implique qu’il ne s’agit plus d’un droit fondamental garanti par l’Etat mais simplement une liberté dont la responsabilité appartient à la femme. L’Etat peut ainsi se dédouaner de la prise en charge médicale, financière, psychologique et des conditions de la pratique. Nous traversons une période très délicate concernant le droit à l’IVG, et la production témoigne du cloisonnement des femmes dans ce débat sans fin. En attendant que des décisionnaires se mettent d’accord, l’OMS estimait en 2021 que 45% des avortements dans le monde se faisaient dans des conditions non-sécurisées.
L’installation interroge ainsi des biais sociaux et une régression des droits acquis en plaçant le spectateur face aux conditions réelles du droit à l’avortement. Si l’IVG est discutée comme concept abstrait et fait polémique sur sa moralité ou son éthique, l’absence d’encadrement et d’accompagnement des personnes qui en ont besoin a des conséquences concrètes et violentes. L’interdiction de l’IVG n’a jamais empêché les femmes de le pratiquer, et il s’agit aujourd’hui de leur permettre de le faire en toute sécurité.
Entrée libre et gratuite.