Exposition

La Vie en Tourbe est la mise en exposition d’une recherche doctorale en anthropologie initiée en 2013 à l’Université Jean Monnet et réalisée au sein du Centre Max Weber (UMR 5283 – ED 483) par Sandra Coullenot.

Intitulée La ferme islandaise. Une archéologie des narrations de l’architecture en tourbe, l’objet de cette recherche est la torfhús (maison en tourbe), un mode de construction utilisé par les Islandais, de la colonisation de l’île jusqu’à la première moitié du 20e siècle. En proposant une ethnographie de la torfhús par la récolte puis l’analyse de récits et de pratiques diverses, cette thèse permet de percevoir quels sont les liens tissés entre le bâti vernaculaire et la construction de la nation islandaise et de l’islandicité.

Affiche web La vie en tourbe

Hjardarhagi

© Sandra Coullenot - 2012
© Sandra Coullenot – 2012

Sur cette image, la torfhús peut être envisagée comme un habitat vivant et indissociable de son paysage insulaire. Avec la torfhús, les Islandais sont devenus des habitants-paysagistes en faisant en sorte de confondre cette création architecturale dans un environnement si particulier. L’anthropologue Valdimar Hafstein évoque même une architecture qui se fond dans le paysage.

Les abords proches d’une ferme en tourbe sont composés de plusieurs éléments : des tourbières, des montagnes, des rivières glacières etc…. Ils font de ce bâti vernaculaire une sorte d’architecture de terroir.

La maison en tourbe nous offre aussi une forme plastique singulière emprunte de beauté et de poésie. Cependant, ces qualités esthétiques imputées à la maison en tourbe sont moins analysées que sa relation particulière au paysage insulaire.

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Glaumbaer

© Sandra Coullenot - 2014
© Sandra Coullenot – 2014

L’ensemble présenté sur cette photographie pourrait représenter à lui seul ce qui est empiriquement donné à voir des maisons en tourbe actuellement, à savoir un corpus de bâtiments datant majoritairement de la période moderne. Les maisons peuvent être restaurées, déplacées pour être remontées ou sans protection patrimoniale particulière.

La maison en tourbe est une architecture vernaculaire institutionnellement désignée. Elle est principalement visible par le dispositif institutionnel des maisons-musées (réseau Húsasafn Íslands), des sites archéologiques aménagés pour la visite, des reconstitutions, des expérimentations et des restitutions virtuelles.

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Arbaejarsafn

© Sandra Coullenot - 2014
© Sandra Coullenot – 2014

L’analyse de la vie domestique dans la torfhús permet d’aborder des aspects comme le travail, le divertissement, l’intimité etc… Dans une pièce commune comme la baðstofa, on pouvait naître, manger, raconter des histoires, besogner, jouer, aimer, souffrir et mourir. L’archéologie, l’histoire et quelques archives et récits permettent d’aborder ces conditions de vie dans la maison en tourbe mais de façon partielle. 
C’est donc une petite fenêtre qui s’ouvre sur l’intérieur de la torfhús.

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Fornverkaskolinn

© Sandra Coullenot - 2017
© Sandra Coullenot – 2017

Cette image évoque les acteurs du savoir-construire en tourbe : les artisans, les archéologues, les architectes, les conservateurs etc… et la place des femmes dans ce domaine n’est pas négligeable. La maison en tourbe est une expérience sociale en commun. On observe aujourd’hui de nouveaux lieux du patrimoine en tourbe proposant un processus citoyen, social et collectif de la patrimonialisation de la torfhús. Il peut s’agir d’initiation au savoir-construire (stages Fornverkaskólinn ou workshops aaa d’Íslenski Bærinn), d’expositions et d’installations récentes. Ces nouveaux lieux renouvellent les discours et les images de la maison traditionnelle. Ils déploient aussi parfois des passerelles entre les institutions et une communauté de pratiques assez disparate.

La maison en tourbe est aussi un patrimoine relationnel. Les conflits rencontrés concernent la maintenance des bâtiments (négociation des pratiques de restauration), leur authenticité et leur intégrité matérielle et immatérielle. Ces désaccords se mêlent à quelques initiatives controversées qui confortent l’idée que la maison en tourbe est au cœur d’enjeux historiques voire idéologiques forts : elle participe au renouveau des narrations de l’histoire de l’Islande, elle est le vecteur de vécus personnels et même d’intimité culturelle (M. Hertzfeld), elle alimente la question de la perte d’une culture constructive. Ainsi la maison en tourbe est un objet sécularisé et politisé, trouvant sa place dans la définition et l’expression de l’islandicité.

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Skriduklaustur

© Sandra Coullenot - 2017

La torfhús est l’objet emblématique de la recherche archéologique. Il y a un apport majeur et précoce de la discipline dans la connaissance de la maison en tourbe malgré de minces traces au sol. On observe de nouvelles interprétations de la torfhús comme vestige à travers les sources écrites anciennes, la pratique de la discipline archéologique et l’expérimentation. Ainsi la mutation des narrations par l’archéologie n’est pas sans lien avec la maison en tourbe. L’usage des sources écrites a changé. La vision monolithique de la torfhús se perpétue mais évolue. La sauvegarde de l’éphémère est devenue un défi. L’expérimentation et la virtualisation offrent de nouvelles interprétations et interactions.

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Vers Litlibaer

© Sandra Coullenot - 2013
© Sandra Coullenot – 2013

La ferme en tourbe – ou moderne – dans son processus de dégradation, d’abandon, de disparition est un autre aspect majeur du bâti islandais qui se voit clairement dans le paysage. Aussi, la raison d’être de la torfhús dans le monde d’aujourd’hui est questionnée. On interroge son obsolescence voire son élimination. Certains acteurs la pensent comme une ruine poétique, une victime du capitalisme ou comme le témoin d’un monde rural en perdition.

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Torfi

Installation techniques mixtes – Sandra Coullenot (2022)

Cette installation est une reproduction plastique d’un mur en tourbe en techniques mixtes. Elle nous permet de proposer une tourbologie, à savoir une étude de la maison par le matériau tourbe qui la constitue et qui est issu d’un écosystème spécifique. De ce muret naît Torfi, un personnage-bloc-de-tourbe. Il s’échappe de son mur quand bon lui chante pour découvrir le monde et nous expliquer le sien… celui de l’Islande et de son patrimoine bâti. Il peut être tourmenté, ne trouvant parfois pas sa place dans notre monde. Mais il demeure créatif et coopératif. 

L’architecture en tourbe est rustique, toujours changeante et faite de malfaçons. L’ensemble peut être dissymétrique. Mais chacun de ces vices de construction font de chaque maison un lieu unique. De manière directement empirique, la terre et l’herbe des blocs de tourbe offrent mille nuances au bâti : des verts, des bruns, des jaunes, des noirs, des gris et de rouges qui changent au fil des saisons. Les parois et le toit des maisons sont en évolution chromatique permanente. Il en est de même pour la texture : à l’extérieur comme à l’intérieur, on ne peut réprimer son envie de toucher le bâtiment. 

Le matériau tourbe issu des tourbières pouvait servir de combustible ou être aussi utilisé comme matelas et comme selle. Le système des racines de la tourbe constitue un enchevêtrement résistant. Le meilleur matériau est celui qui ne contient pas de sable. En revanche, la présence d’argile est un avantage pour la construction. La tourbe est par conséquent un bon matériau de construction, idéalement adaptée au climat nordique qui peut être extrême. Elle était facile à se procurer et c’était autrefois un avantage précieux pour une ferme que de pouvoir s’approvisionner en tourbe à proximité…

Même si elle a traversé les siècles grâce au maintien régulier des bâtiments et à la perpétuation d’un savoir-construire, la maison en tourbe se définie essentiellement par son caractère éphémère. Arraché à son milieu, le matériau va poursuivre son cycle de vie tel un organisme vivant. Mais il va naturellement se décomposer et mourir petit à petit. C’est entre autre le climat qui va déterminer sa plus ou moins rapide détérioration. Ainsi, plus de bâtiments en tourbe sont préservés dans la région Nord qu’au Sud, où l’on a privilégié des constructions en pierres adaptées à l’humidité. En observant la maison vieillir, on se rend compte qu’elle peut être un indicateur de l’identité de l’environnement et de sa santé. La durée de vie d’une maison en tourbe s’est considérablement réduite. La maison en tourbe illustre alors la métaphore de la vie : elle connaît une naissance et une mort. S’il a fallu compter le labeur de vingt générations pour arriver à la dernière phase constructive de la torfhús, les maisons en tourbe modernes ont dû être réparées une à deux fois par génération. 

La maison en tourbe a pendant de nombreux siècles été l’habitat commun ancré dans le territoire islandais. Elle est devenue il y a peu une demeure singulière en passant par une phase de marginalisation puis de patrimonialisation, tant bien que mal. Architecturalement, elle est aujourd’hui observée comme une utopie architecturale, une anarchitecture. Dans le cas de l’architecture en tourbe, le continuum mur-sol n’est pas totalement assuré : la maison est ancrée dans le paysage mais l’enracinement ne se refait pas complètement. Par ailleurs, l’activité géologique et volcanique de l’île n’est pas sans poser de problème à l’habitat. 

En Islande, les réalisations architecturales ont répliqué ingénieusement les courants du continent tout en faisant très tôt preuve d’inventivité et de création. Si au début du 20e siècle l’habitat moderne en dur a fait son apparition, nous avons vu qu’il n’a pas pour autant été fait table rase de l’architecture employant le matériau tourbe. L’architecte Einar Bjarki Malmquist constate un intérêt renouvelé pour les matériaux, les savoir-faire et le vernaculaire dans la pratique de l’architecture contemporaine. Bien sûr on ne construit plus intégralement en tourbe, cependant des projets tendent à montrer qu’il y a des inspirations explicites. 

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Maquettes 3D du personnage Torfi

Projet réalisé par des étudiants de la deuxième année du Master Design, sous la direction de Thibault Ceccato de la Fabrique de l’Innovation.

Des étudiants de deuxième année du Master Design de l’Université Jean Monnet Saint-Étienne, formés à la création 3D et à l’impression 3D par la Fabrique de l’Innovation, se sont lancés dans la création de supports de médiation scientifique et culturelle pour accompagner les travaux Sandra Coullenot.

Ils ont fabriqué trois personnages utilisés sur un plateau de jeu, ainsi qu’un personnage positionné dans la scénographie de l’exposition :

Torfi

Liste des étudiants impliqués : Élise Clavier, Louise Garnier, Charlotte Masse, Louise Paulin, Océane Andres, Émilie Novo et Nicolas Defrocourt.

Pour aller plus loin :

Documents présentés au learning center

L’exposition se poursuit au Learning Center par la présentation de cartes postales, ouvrages et carnets de terrain.

 

Pour aller plus loin :

  • Bergsveinn Birgisson, La lettre à Helga, Éditions Zulma, 2013.
  • COLLECTIF, L’Islande dans l’imaginaire, Presses universitaires de Caen, Symposia,  2013.

Pour aller plus loin :

Retrouver une mise en forme virtuelle de l’exposition sur le site de la CSTI.

Rencontre grand public « Repenser l’habitat d’aujourd’hui » du lundi 10 octobre à 18h (amphithéâtre L219, Centre des savoirs pour l’innovation, 11 rue du Docteur Annino à Saint-Étienne) programmée à l’occasion de cette exposition dans le cadre de la Fête de la Science 2022.